Michel DEZA
Directeur de Recherche au CNRS
Adresse postale: 17 Passage de l'Industrie, 75010 Paris
Téléphone et Fax personnels: 0147703673
Michel.Deza@ens.fr , http://www.dmi.ens.fr/users/deza

à Messieurs Lionel JOSPIN, Premier Ministre, et Laurent FABIUS, Président de l'Assemblée Nationale

avec copie à Messieurs Pierre COHEN et Jean-Yves LE DEAUT, Députés

le 20 juin 1999

L'ACTUELLE CONSULTATION NATIONALE SUR LA RECHERCHE EST-ELLE CREDIBLE ?

Dix-sept jours se sont écoulés depuis le commencement, en ultime recours pour défendre mon honneur et ma dignité, de ma gréve de la faim dans mon bureau au LIENS, Laboratoire d'Informatique de l'Ecole Normale Supérieure (voir http://www.dmi.ens.fr/users/deza/gf2.html , ainsi que les pièces exposées à l'adresse http://www.dmi.ens.fr/users/deza/manif.html ). Les autorités concernées (CNRS et ENS) refusent toujours d'appliquer les jugements des Tribunaux Administratifs et les décisions de la Direction Générale du CNRS, reconnaissant: a) mon affectation au LIENS; b) l'existence d'un comportement indu des hiérarchies et administrations à mon égard, m'ayant causé un tort professionnel et personnel évident. Pour avoir osé exercer des droits élémentaires reconnus par la Convention Européenne des Droits de l'Homme dont la France est signataire (liberté d'opinion et d'expression; liberté de contester des décisions par les voies prévues à cet effet; liberté de défendre ces droits...), je suis depuis SEPT ANS traité, au CNRS et à l'Ecole Normale Supérieure, comme un pestiféré à qui il convient d'appliquer le vaste réservoir des "lois non écrites" destinées à protéger l'étanchéité du système et les intérêts peu transparents des nomenklaturas. Mon "crime": avoir osé, sur la base de mes deux-centes publications scientifiques, contester le refus d'une promotion que j'avais sollicitée. Une promotion au grade de Directeur de Recherche de I classe, bien modeste par rapport, par exemple, à la carrière météorique que le livre "Le gang du cancer", Albin Michel 1996, attribue à l'ancien président de l'ARC (comme moi, agent du CNRS) sur la base d'une qualification professionnelle qui, sauf méprise de ma part et avec tout le respect dû, m'apparaît moins difficile.

C'est ainsi, par exemple, qu'à ce jour je reste exclu des crédits, services et réunions de mon laboratoire et que cette mesure est aggravée par mon bannissement des listes des personnels du LIENS d'élaboration récente (voir, par exemple, http://www.di.ens.fr/francais/membres.html , page du Département d'Informatique de l'ENS) et que ce même Département n'hésite pas à s'approprier, mot pour mot (voir http://www.di.ens.fr/francais/equipes/Pocchiola.html ), mon programme de recherches qui a fait ma réputation internationale. Ce harcèlement a lieu avec l'acquiescement des plus hauts responsables du CNRS, de l'ENS et de leur Ministère de tutelle, qui y assistent aux premières loges et qui depuis un an et demi ont été saisis, non seulement par mes démarches, mais aussi par de nombreuses interpellations de journalistes et parlementaires. Si l'actuel silence institutionnel devait encore se poursuivre, je me trouverai, âgé de soixante ans, dans un danger de coma croissant dans mon actuelle grève de la faim. C'est sans aucun doute le genre de "victoires" que le système de nos institutions scientifiques affectionne.

Malheureusement, de telles pratiques institutionnelles ne sont pas exceptionnelles et se trouvent très largement à l'origine de la dégringolade de la qualité scientifique au sein de nos établissements. Et peut-on accorder un crédit réel à l'actuelle consultation nationale sur la recherche, alors qu'un tel climat de violence et d'autoritarisme incontrôlé règne dans les laboratoires? Quel scientifique osera prendre le risque d'exposer vraiement le fond de sa pensée? Combien de citoyens, tout court, seraient prêts à affronter les avalanches de haine et de cruauté que les détenteurs du pouvoir dans le monde scientifique déchargent impunément contre quiconque ose exercer à leur égard la moindre liberté de critique? Combien de combattants politiques, militaires, des droits de l'homme... pourraient supporter pendant de longues années, sans s'effondrer, la détresse, les souffrances matérielles et la torture morale qu'en plein milieu de notre civilisation, prétendument avancée, un groupe social (une caste hiérarchique) qui s'estime d'office au dessus de tout soupçon et de toute critique inflige avec le plus grand sadisme à quiconque ose lui opposer le moindre doute ou contestation? Et quels sont les mobiles d'une telle généralisation de la terreur administrative par les hiérarchies et les bureaucraties? Car c'est précisément parmi les meilleurs scientifiques que l'on trouve quotidiennement les victimes de ces exactions totalitaires.

Une première constatation est que le système ne se borne pas à imposer la soumission: à la manière du "Faust", il veut les âmes de ses complices et victimes. En témoignent, par exemple, les 700 signatures de scientifiques mobilisées dans un temps record fin 1994 contre l'article du journal "Le Point" qui avait osé mettre en cause la gestion de l'ARC, Association pour la Recherche contre le Cancer; ou, sur la même affaire, les plus de mille signatures de scientifiques (parmi lesquels de nombreuses personnalités de relief) récoltées par la présidence de l'ARC pour la "campagne S.O.S." parue en septembre 1995, trois mois après que la Cour des Comptes ait rendu ses constatations provisoires. Et s'il a fallu en arriver aux poursuites pénales pour que cette attitude change dans le cas d'espèce, que peut-on espérer de l'actuelle consultation sur la recherche qui a lieu, pour l'essentiel, dans un contexte global identique à celui de 1994 ou 1995 ?

Mépris des valeurs, les sources de financement et de carrières étant "plus importantes" que le bon fonctionnement du pays, mais aussi opacité. Si les décisions de justice en ma faveur n'ont pas vraiement été respectées et si, à la place, je me vois opposer des représailles humiliantes et hargneuses; si, à l'ARC, un Conseil d'Administration formé majoritairement de scientifiques et de représentants de leurs institutions n'avait semble-t-il "rien vu" (mais le Journal du CNRS de mars 1998 reconnaît, page 14, que "pendant longtemps", "ceux qui ont tenté de dénoncer" le "scandale de l'ARC" "ont été pourchassés"); si le rapport établi en 1995 (en méme temps que l'enquête de la Cour des Comptes sur l'ARC) par l'Inspection Générale des Finances sur la situation et la gestion du CNRS et de ses laboratoires reste secret à ce jour malgré le jugement du Tribunal Administratif de Paris du 17 février dernier (resté sans appel) sur l'affaire 96-3150 (GONZALEZ-MESTRES contre CNRS et Ministère de tutelle, voir http://www.multimania.com/virtuel2/TA963150.html )... sur la base de quelles données les scientifiques peuvent-ils répondre à l'actuelle consultation? Ont-ils, pour commencer, les moyens et la témérité de tenter de savoir à qui ils ont affaire au sein de leurs propres établissements? Ou est-ce devenu trop difficile et dangereux, exigeant de braver trop d'interdits?.

Décisions de justice, enquêtes, critiques de l'opinion publique... rien n'ébranle la suffisance et l'implacabilité des actuelles hiérarchies et administrations du monde scientifique. Comme si, imbues d'un pouvoir supérieur, elles n'avaient de comptes à rendre à personne (la "pétition des 100" dans l'affaire du sang contaminé disait-elle, au fond, autre chose?). Il paraît manifestement illusoire d'espérer venir à bout de ce Himalaya de l'omertà par une consultation dont, en fin de compte, la hiérarchie scientifique garde très largement le contrôle. C'est pourquoi j'ai l'honneur de renouveler la proposition que j'avais formulée il y a un an, avec d'autres collègues (notamment, du Laboratoire de Physique Corpusculaire du Collège de France), à savoir qu' une vraie commission d'enquête parlementaire soit mise en place sur la recherche scientifique. C'est seulement ainsi qu'il sera possible d'éviter la développement de ce germe de décomposition de l'Etat et des organismes qui l'entourent, processus qui se manifeste, non seulement à l'intérieur même des institutions scientifiques, mais au sein de milieux et entités qui leur sont périphériques (voir, par exemple, ce que le journal "Le Monde" des 20 et 21 juin appelle "le scandale de la MNEF", e.g. http://www.lemonde.fr/article/0,2320,dos-2296-12195-QUO-5-2031-,00.html ).

Je vous prie de recevoir l'expression de ma plus haute considération.

Michel DEZA