Michel DEZA                                         18 octobre 1998
17 passage de l'Industrie, 75010 PARIS; Téléphone et Fax: 0147703673
Mathématicien et Informaticien, Directeur de Recherche au CNRS
LIENS, Ecole Normale Supérieure, Paris

à Monsieur Claude ALLEGRE, Ministre de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie

Monsieur le Ministre,

Depuis six ans, je subis des arbitraires administratifs pour avoir exercé mon droit de recours contre un refus de promotion. Il s'agit d'une violation grossière des droits et libertés fondamentaux, droits qu'en réalité l'actuelle hiérarchie scientifique, qui cherche à fonctionner par des lois non écrites, n'a jamais accepté de reconnaître à ses chercheurs. On cherche à présent à me chasser par tous les moyens de mon laboratoire, le LIENS de l'ENS, pour avoir obtenu à deux reprises la condamnation du CNRS par les tribunaux administratifs.

L'éditorial de septembre 1998 de la revue Science et Vie, intitulé: "FRAUDE SCIENTIFIQUE: L'EXCEPTION FRANÇAISE", reconnaît qu' "il n'existe en France aucune déontologie scientifique". Ce constat a été dressé à l'occasion d'un soupçon de fraude matérielle concernant des résultats scientifiques. Mais la fraude intellectuelle qui n'est sanctionnée par aucune loi, à savoir, le simple refus d'objectivité, la déformation ou présentation incomplète des faits, les avis émis sous influence, les rapports tendancieux et manipulés... constitue un fléau dont les conséquences politiques, sociales et économiques pour le pays sont encore plus graves. Ces procédés ont été utilisés à plusieurs reprises pour tenter de justifier les mesures prises à mon encontre.

- La réponse du Ministère de la recherche, en date du 18/9/98, à Mme. Y.BENAYOUN-NAKACHE (production 1) déclare que ma situation s'est produite "suite à des conflits". Mais la réponse du Ministère à un autre député, Monsieur G. HAGE, publiée au Journal Officiel le 30/3/1998 (production 2), qualifie mon éviction du LIENS de "mutation dans l'intérêt de la recherche", affirmant que ce laboratoire "s'est engagé dans une dynamique de renouvellement de ses thèmes de recherche". Aucun grief professionnel concret ne m'est adressé, alors qu'au cours de ladite procédure de "mutation dans l'intérêt de la recherche", je me suis vu refuser l'accès au dossier ainsi que le droit de me faire représenter auprès de la CAP (Commission Administrative Paritaire). Comme en témoigne le procès-verbal de la CAP (rédigé deux mois après la mutation elle-même), son Président Monsieur H. DOUCHIN, Directeur des Ressources Humaines au CNRS, s'y est exprimé à mon égard dans des termes calomnieux et a refusé par la suite de justifier ses propos (voir mon courrier, production 3, dont vous aviez reçu copie, resté sans réponse). Il y a eu clairement sanction déguisée.

- Le même usage frauduleux de l'argument scientifique a été fait au niveau de l'instance d'évaluation: le Comité National de la Recherche Scientifique. La Section 07 de ce Comité a motivé son avis sur mon éventuel changement d'affectation par un prétendu projet du changement de thématique du laboratoire. Mais son Président a reconnu récemment que "tout le monde à la Commission savait qu'il s'agissait d'un conflit et voulait éviter à Deza les pires ennuis administratifs" et qu' "ils avaient discuté de l'avis, à la virgule près". De surcroît, la crainte des "pires ennuis administratifs" pour l'intéressé, alors qu'aucun grief valable n'avait pu m'être adressé, est en soi bien révélatrice de la terreur administrative qui règne de plus en plus dans les organismes de recherche, alors que des dispositions récentes et en préparation tendent à libéraliser l'enrichissement de la hiérarchie. Force est de constater que les réponses de votre Ministère ne s'attaquent point à cette situation.

- La fraude scientifique et administrative ainsi banalisée, le comportement des instances concernées a naturellement glissé vers d'autres dissimulations et déformations. Au point qu'il m'est apparu que, l'avis de la Commission n'étant pas suffisant pour pouvoir justifier ma "mutation dans l'intérêt de la recherche", il avait été procédé à son altération. Une procédure en cours pour faux et usage de faux établira les responsabilites encourues et s'il a pu y avoir délit, mais les documents semblent montrer que des membres de la Direction du CNRS (Directions du SPI et des Ressources Humaines) étaient, pour le moins, au courant de ces faits.

- Ma "mutation dans l'intérêt de la recherche" est un montage a posteriori. M. J.J.GAGNE- PAIN, Directeur du Département SPI du CNRS, m'avait d'abord sommé, par écrit, de quitter mon laboratoire LIENS parce que, déclarait-il, "l'ENS ne souhaite pas vous faire figurer dans les effectifs du laboratoire". J'ai demandé à M. GAGNEPAIN de m'en donner les motifs et c'est alors qu'il a lancé la procédure de "mutation dans l'intérêt de la recherche" excipant d'un prétendu "changement de thématique du laboratoire" qui ne me semble pas réel et qui n'est qu'un prétexte formel pour procéder à une épuration idéologique, politique et antisyndicale.

- Aucun document sur la prétendue "nouvelle thématique" du LIENS n'a été produit depuis, mais il m'apparaît que le Rapport d'activité du laboratoire a été altéré par son Directeur annonçant, à deux reprises, mon départ imminent. Comme vous le savez, j'ai protesté contre la distribution de ce qui m'est apparu comme une contrevérité me causant un préjudice et, vu le refus implicite de l'ENS et du CNRS de procéder à son amendement, j'ai engagé une procédure civile.

- Le médiateur institutionnel du CNRS, A.BERROIR, dans un courrier ci-joint (production 4) déclare qu'il a consulté, à la Direction du CNRS, Messieurs J.J.GAGNEPAIN et M.GROSS, ce dernier responsable de la contractualisation, et conseillé au Directeur du LIENS de se servir de la contractualisation pour m'exclure du LIENS. S'agit-il d'un "médiateur" ou d'une nouvelle duperie, le "médiateur" aidant de fait la hiérarchie?

- La production 5 ci-jointe est ma lettre du 28/2/98, à laquelle vous n'avez jamais répondu; je vous y signalais les propos diffamatoires contre ma personne écrits par Monsieur E.GUYON, Directeur de l'ENS, et je sollicitais une enquête administrative.

- La production 6 est ma lettre du 13/3/98, à laquelle vous n'avez jamais répondu. Elle concernait l'annonce de la démission immédiate de Directeur de mon laboratoire, Mr J. STERN, en protestation contre la décision de Madame C.BRECHIGNAC, Directeur Général du CNRS, qui avait retiré ma mutation d'office. Monsieur STERN y déclare refuser d'exercer des fonctions "jusqu'à la nouvelle affectation de M.DEZA", annonce qu'il a immédiatement mise à exécution sans attendre la réponse des autorités de tutelle. Depuis neuf mois, cette démission n'a été ni acceptée, ni rejetée par le CNRS et l'ENS. Tous les documents du laboratoire sont depuis signés par une secretaire temporaire, à qui Messieurs GUYON et STERN (pourtant, directeur démissionnaire) ont donné des procurations qui impliquent une démission de facto, pour la façade, de Monsieur J. STERN. Je me permets de vous laisser juger du sérieux d'un tel comportement.

- Aucune proposition de me "rattacher pour ordre à la Direction de l'ENS" (cf. production 1) n'a été faite par les "médiateurs" nommés par la Direction du CNRS pour étudier ma situation. De plus, contrairement à la réponse du Ministère à Monsieur G.HAGE (production 2) qui laissait aux médiateurs "le soin de proposer une solution concertée pouvant convenir á l'ensemble des parties concernées", aucune concertation n'a eu lieu avec l'intéressé (voir, production 7 , lettre des "mediateurs", leur unique document).

L'affirmation d'après laquelle je n'aurais pas "donné de réponse à deux invitations du Secrétaire Général du CNRS" (production 1), est contredite, comme vous le savez, par la lettre que je vous ai adressée le 13/8/98 (production 8); voir aussi l'unique courrier du 7/8/98 que j'ai reçu de Monsieur J.P. SOUZY, Secrétaire Général (joint à cette pièce). Constatant que j'avais été invité à rencontrer un administratif et non un scientifique, j'ai sollicité à la place un entretien avec Mme. Le Directeur Général du CNRS, qui m'a effectivement été accordé et a eu lieu par téléphone. Il me semble qu'en estimant que la mutation d'un chercheur est avant tout une décision à caractère scientifique, je n'avais fait que suivre vos propres déclarations parues dans Ciel et Espace du 16 septembre 1996:

"... cela signifie aussi davantage de liberté pour les chercheurs... Et surtout que les décisions soient prises par les responsables scientifiques. Vous savez qu'au CNRS c'était le secrétaire général - un administratif - qui affectait les postes de techniciens. C'est lui qui signait les contrats. Que l'administration administre, mais qu'elle ne prenne pas de décision a la place des scientifiques."

Je me permets de faire remarquer, très respectuesement, que le grief que m'adresse la lettre du 18 septembre dernier (production 1), signée par vous, est en contradiction avec vos propres déclarations.

C'est par de tels procédés qu'on cherche à me chasser de mon laboratoire, sans aucune raison scientifique ou administrative valable. De surcroît, comme vous le savez, (production 9, par exemple), je suis empêché actuellement de participer aux activités de mon laboratoire, alors que j'y reste affecté et inscrit sur les listes électorales, et j'y suis présent tous les jours. Il s'agit, une fois de plus, d'une vengeance contre les deux procédures contentieuses que la justice a tranchées en ma faveur au détriment du CNRS. Il y a violation manifeste des Droits et Libertés Fondamentaux garantis par la Constitution Française et par les Conventions Européennes (e.g. sur les Droits de l'Homme) dont la France est signataire. Non seulement le CNRS ne m'a adressé aucun mot d'excuses, ni essayé de réparer le préjudice (encore moins de sanctionner le principal responsable de cette situation, Monsieur J.J.GAGNEPAIN), mais je continue à être traité comme un élément antisocial et détraqué. Ce qui paraît fort parlant sur la vague d'affairisme et de corruption qui risquerait de déferler si le Parlement en arrivait à approuver des lois libéralisant l'enrichissement de la hiérarchie scientifique.

Depuis 1993, le simple fait d'exercer mon droit au recours a déclenché des représailles de la part de Monsieur GAGNEPAIN, qui a même tenté de riposter à mes recours par une mise à pied (production 10). Pour mémoire, j'ajouterai que la somme que la Cour Administrative d'Appel de Paris avait ordonné au CNRS de me verser au titre de dommages et intérêts pour discrimination a été règlée avec grand retard et seulement après injonction du Président de la Cour (production 11), ce qui en dit long sur la manière dont le jugement a été accueilli par la hiérarchie du CNRS.

C'est pourquoi je regrette que votre Ministère, maintes fois sollicité et pleinement informé de ce dossier, n'ait pas à ce jour décidé de rétablir la normalité par le simple retrait définitif des mesures prises à mon encontre et l'arrêt des manoeuvres visant à m'exclure du LIENS par des pratiques d'influence. Au contraire, votre administration a contribué à l'arbitraire par les deux réponses arbitraires et infondées (productions 1 et 2) données aux députés qui vous ont saisi. Il s'agit d'un grave disfonctionnement des organismes de recherche et de votre Ministère. Par ailleurs, je n'ai reçu à ce jour notification d'aucune réponse de votre part aux interventions de Mme. C. BOUTIN, Député, et Monsieur J. ROCCA SERRA, Sénateur.

L'indifférence opposée aux décisions de justice me concernant, de même que de nombreux autres incidents qui secouent quotidiennement le monde scientifique, montre la nécéssité d'une enquête parlementaire sur la recherche scientifique avant toute loi ou décret modifiant son statut. C'est seulement ainsi que les intérêts stratégiques essentiels de la République dans ce domaine pourront être préservés.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération.

                                                      Michel DEZA

Copie à:
- Madame Y.BENAYOUN-NAKACHE, Député
- Monsieur G.HAGE, Député