Michel DEZA 22 avril 1999
17 passage de l'Industrie, 75010 PARIS; Téléphone et Fax: 0147703673
Mathématicien et informaticien
Directeur de Recherche au CNRS (LIENS, Ecole Normale Supérieure)
Michel.Deza@ens.fr , http://www.dmi.ens.fr/users/deza

à l'attention de Mesdames et Messieurs les DEPUTES (SENATEURS)

Harcèlement professionnel dans le milieu scientifique
ou la protection des chasses gardées par des lois non écrites

Il y a un an, pour manifester ma disconformité envers une mutation d'office qui revêtait manifestement le caractère d'une sanction et dont le but était de m'expulser de l'Ecole Normale Supérieure (ENS, où je suis affecté) pour des raisons que l'administration avoue être étrangères à ma valeur professionnelle, j'ai été contraint de faire une grève de la faim pendant seize jours. La mutation a été retirée mais, malgré deux condamnations en justice, les autorités de tutelle refusent toujours de reconnaître le moindre tort et continuent à me traiter comme un pestiféré. Ni les interventions de parlementaires et d'organisations représentatives des chercheurs, ni l'émoi suscité dans la presse écrite, n'ont infléchi d'un pouce l'hostilité de principe de l'appareil hiérarchique et administratif de la recherche scientifique envers ma personne. Hostilité qui tient à un élément essentiel: je ne dois à mes origines, ni à aucun cercle d'influence, mes modestes succès professionnels; j'exerce le droit à l'indépendance intellectuelle que la loi reconnaît aux scientifiques, de même que mon droit au recours en tant que fonctionnaire et simple citoyen.

La situation de la recherche scientifique illustre, par des cas d'école particulièrement vicieux, la dégradation des relations professionnelles dans le pays. De plus en plus, la loi, les divers Codes, les statuts légaux... sont banalisés par des pratiques non-écrites qui les contournent savamment, de façon à atteindre ceux que la loi empêche d'attaquer frontalement. Le harcèlement organisé devient une nouvelle arme lourde. Derrière des mots pudiques se cachent des purges politiques et idéologiques sans précédent récent, de vraies épurations liées à l'âge, au degré de docilité envers les hiérarchies, aux fréquentations et au niveau d'influence... Tous les milieux professionnels sont frappés par le gâchis accablant qui en découle. C'est à tort que l'on voudrait attribuer systématiquement les contre-performances à un "manque de flexibilité". Bien au contraire, une nouvelle législation paraît nécessaire, de façon à protéger la dignité humaine et l'efficacité du travail dans toutes les activités professionnelles.

1. Un système incapable d'évoluer

Le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 février dernier (Gonzalez-Mestres c. CNRS) concluant à la communicabilité du rapport établi en 1995 sur le CNRS par l'Inspection Générale des Finances (voir, pour un extrait, http://www.dmi.ens.fr/users/deza/jugluisgm.html), permettra peut-être de comprendre quelques clés des causes profondes des dysfonctionnements des institutions scientifiques actuelles. On peut, en tout cas, le penser vu l'acharnement avec lequel toutes les administrations se sont opposées à sa communication.

Combien d'autres rapports restent confidentiels ou auraient dû être, mais n'ont pas été, écrits? C'est seulement dans des situations extrêmes, lorsque le scandale ne peut plus être étouffé, que les institutions scientifiques font l'objet d'enquêtes. En général, c'est l'omertà déguisée en "intérêt de la communauté" qui prévaut: les "têtes qui dépassent" sont coupées impitoyablement. Les "affaires" qui sécouent le monde scientifique deviennent nombreuses et le refus d'enquête constitue souvent le seul rempart institutionnel. L' "exception scientifique" réside dans le fait qu'un domaine stratégique, consommateur de très grands investissements, est laissé à la dérive sans contrôle réel, sans que des mesures concrètes ne fassent suite au constat des dysfonctionnements... Les "réformes" frappent invariablement les chercheurs "de base", les vrais créateurs qui conçoivent et réalisent la recherche: elles ne mettent jamais en cause les hiérarchies. Que cherche-t-on à protéger, quel est le dessous des cartes?

Tout se passe actuellement, au sein des institutions scientifiques, comme si le système ne pouvait plus tolérer l'existence même de professionnels compétents et indépendants qui risqueraient, sur la base du mérite, d'accéder à des postes de responsabilité leur permettant de connaître des éléments de ce dessous des cartes. Systématiquement, lors des classements pour des promotions ou des concours, l'appareil de pseudo-évaluation en place écarte de nombreux candidats sur la base de leur "comportement", autrement dit pour le "délit de non-influence" ou pour leur refus de se soumettre au diktat des groupes de pression, d'accepter les passe-droits... Ce verrouillage acharné entraîne les institutions dans une spirale involutive.

2. Faux dilemme, vide dangereux...

Un "débat" serait en cours sur l'avenir de la recherche scientifique dans le pays... est-ce vraiement le cas? Certes, des divergences sont apparues entre les actuels appareils (hiérarchies, administrations, "comités" en place...) et un Ministre issu de cette même classe hiérarchique. Mais quel rapport avec les vrais enjeux, avec un exposé des vrais problèmes? Les deux "parties en présence" prônent le renforcement des privilèges, des chasses gardées... politique qu'elles ont appliqué ensemble au cours des deux dernières décennies et qui abouti à l'actuelle impasse. Dans ce "débat", pas question de l'ARC, de fiascos comme ceux d'ACRI et de LOCSTAR, des autres "affaires"... Les chercheurs "de base" sont tenus à l'écart, ils subissent le "débat". Des signatures supposées "libres et spontanées" leur sont demandées par la voie hiérarchique, par leurs directeurs de laboratoire, pour des textes redigés par les instances d'évaluation dont dépend leur carrière (e.g. à l'IN2P3 sur le renouvellement de la direction de cet Institut)... le harcèlement professionnel pourrait-il ne pas s'inscrire dans la logique d'un tel système?

En annexe:

- Ma lettre du 8 avril 1999 aux autorités de tutelle.
- Lettre de Mme. le Directeur Général du CNRS du 25 mars 1999.
- Ma note du 12 avril 1998 adressée à Mesdames et Messieurs les parlementaires

Je vous prie de recevoir l'expression de ma haute considération.

Michel DEZA

SUIVENT LES ANNEXES


Michel DEZA
8 avril 1999

17 passage de l'Industrie, 75010 PARIS
Téléphone et Fax: 0147703673
Mathématicien et Informaticien, Directeur de Recherche au CNRS
LIENS, Ecole Normale Supérieure

Délégué SNTRS-CGT, CAE et CORAS (circonscription Paris B) au CNRS.

- Monsieur Claude ALLEGRE, Ministre de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie
- Madame Catherine BRECHIGNAC, Directeur Général du CNRS

La recherche scientifique vit depuis un an une période de vives tensions. Des privilèges sont menacés, des droits légitimes le sont également: il est souvent difficile de les séparer si l'on s'en tient à la composition des blocs politiques de fait, qui se font et se défont. Délégué syndical, mais aussi chercheur indépendant ne devant ma modeste réussite à aucun groupe de pression ni à mes origines, j'ai toujours été marginal par rapport aux nomenklaturas et réseaux d'influence qui se sont développées dans la recherche scientifique française au cours des deux dernières décennies. Cette situation, que subissent de nombreux chercheurs pour le "délit de non-influence", s'est traduite par un harcèlement professionnel impitoyable contre ma personne et ma réputation scientifique, depuis qu'en 1992 j'ai involontairement braqué l'arrogance des détenteurs du pouvoir. Ma "faute", jugée grave au point de justifier mon exclusion de la communauté scientifique, à consisté à exercer des droits élémentaires: d'abord, me porter candidat à une promotion que, d'après les instances d'évaluation compétentes, ma production scientifique justifie très largement; puis exercer mon droit de recours et demander une réparation qui m'est toujours refusée sans motif et malgré deux condamnations du CNRS en justice. Pour ce "crime", je suis devenu une cible à abattre.

Victime d'une vraie chasse à l'homme qui n'est pas exceptionnelle et contre laquelle, en général, mes collègues sont contraints de capituler pour ne pas ruiner leur vie et celle de leurs proches, j'ai décidé de résister pour préserver ce minimum de droits réels et de dignité qu'on ne saurait refuser a nul citoyen. Dignité et droits que le "système" de l'actuelle hiérarchie scientifique ne nous reconnaît pas dans la pratique. Il y a un an, j'ai été contraint de riposter par une grève de la faim à la mutation arbitraire, volontairement humiliante par ses non-dits, que l'on cherchait à m'imposer. La Direction Générale du CNRS a retiré cette mutation, suite à l'émoi suscité dans l'opinion publique. Cependant, le harcèlement s'est poursuivi sous d'autres formes et par d'autres moyens. Il s'est aggravé encore récemment:

- Même si, officiellement, je suis maintenu au LIENS, dans la pratique je subis un apartheid systématique profitant, en outre, de l'absence de convention régissant le statut de mon laboratoire, le LIENS devenu Unité Mixte de Recherche. Tous mes moyens de travail provenant de l'Ecole Normale Supérieure ou des dotations CNRS du DMI ou du LIENS sont de facto supprimés. Au point que je ne peux plus faire des photocopies ni imprimer mes rapports de recherche. Dans la pratique, je suis mis à l'écart de tout laboratoire. Je subis, sous la couverture pudique d'une somme modeste allouée à mon nom a la Délégation Régionale Paris B du CNRS, un vrai traitement de pestiféré digne des méthodes réservées aux hérétiques dans le Haut Moyen-Age. Devant la justice, pour obtenir des décisions de non-lieu, la Direction du CNRS déclare avoir retiré ma mutation d'office. Mais, en réalité, l'essentiel de cette décision, à savoir mon expulsion du LIENS, est exécutée implacablement. Je suis traité comme un corps étranger qu'il serait impératif de confiner dans un ghetto et entourer d'un cordon épurateur. C'est sans doute pour éviter toute contagion de ma personne, que je suis privé de stagiaires et d'invités, mis à l'écart des réunions...

- La hiérarchie menace à présent de m'enlever l'un des rares outils dont je dispose pour dénoncer l'arbitraire dont je suis victime et l'omertà qui l'entoure. Certaines des phrases que j'emploie seraient inacceptables (mais aucune sanction n'a été infligée aux responsables des faits que je dénonce, la hiérarchie continue à s'auto-octroyer toutes sortes de satisfecit...). J'aurais abusé du courrier électronique (mais la direction du CNRS dépense des sommes considérables, provenant des contribuables dans un appareil de propagande pléthorique)... Pire encore, on m'oppose une charte qui aurait été approuvée par la Direction Générale du CNRS et dont la teneur rappelle le langage du Service de la Propagande de l'ex-URSS: " L'utilisateur... n'émettra pas d'opinions personnelles étrangères à son activitè professionnelle susceptibles de porter préjudice au CNRS", alors que le Conseil Constitutionnel a reconnu et rappelé la nécessité d'une totale liberté d'expression pour les enseignants-chercheurs. Il est même exigé des chercheurs de "ne mettre sur le serveur que des informations qui valorisent l'image du laboratoire", une conception parfaitement stalinienne de l'information scientifique!

- Ce dernier point n'est pas le fait d'un malentendu ni d'une maladresse. Il s'agit bien, par tous les moyens, de baillonner ma dénonciation du mauvais fonctionnement institutionnel. La Direction du CNRS "oublie", d'ailleurs, de mentionner mon mandat syndical, qui concerne précisément, l'aide exceptionnelle, les conditions du travail, les problèmes humains des personnels... La menace d'une procédure disciplinaire pour violation de l'obligation de réserve m'est adressée pour le cas où j'envisagerais de transférer ma page web à un site privé (réaction préventive devant le référencement récent de la page web http://www.multimania.com/virtuel2 dans la rubrique Ethique des Sciences de l'annuaire de Yahoo.fr ?). Une fois de plus, la Direction du CNRS passe outre aux décisions du Conseil Constitutionnel établissant qu'aucune obligation de réserve ne saurait être opposée aux scientifiques.

Est-ce vraiement abusif d'établir des comparaisons entre un tel système et celui de l'ex-URSS que j'ai également connu et combattu? J'ai, bien au contraire, l'impression d'avoir été confronté à deux systèmes hiérarchiques très similaires, basés sur des catégories intellectuelles analogues et utilisant des procédés qui ne diffèrent que par le degré de violence permise. Voici quelques exemples de l'actuelle situation au sein de nos institutions scientifiques, illustrant ces analogies:

- Destabilisation du statut de fait des chercheurs et des laboratoires, faisant règner une vraie terreur administrative sur les personnels. La moindre apparition d'un noyau jugé "dissident" est punie avec le bannissement en masse, la mise au placard collective, la politique de la terre brûlée... Le cas, devenu historique, du Laboratoire de Physique Corpusculaire du Collège de France restera à jamais dans les annales de la honte de la communauté scientifique, ensemble avec les noms des dirigeants qui ont commis ou toléré de tels abus.

- Des exactions très graves contre les personnes, jusqu'aux procédures à caractère psychiatrique envisagées contre des agents de la recherche scientifique jugés contestataires ou, tout simplement, trop indépendants (e.g. au Collège de France avec, en particulier, un dossier scandaleux monté de toutes pièces contre le physicien Luis GONZALEZ-MESTRES, voir le site intersyndical http://perso.wanadoo.fr/intsynd-lpc/harcel.html ).

- Baillonnement des opinions, jusqu'à l'invention par les services juridiques d'une prétendue "obligation de réserve" pour les scientifiques, que le Conseil Constitutionnel ne reconnaît pas.

- Embrigadement idéologique; distorsion, altération et manipulation de l'expression des opinions des personnels. Un exemple récent, à l'IN2P3: des signatures recoltées par la voie hiérarchique pour demander la nomination d'un nouveau directeur de l'Institut, sur la base d'un texte élaboré par la même instance (la section du Comité National) qui doit évaluer les chercheurs et se prononcer sur leurs promotions. Mise en scène, à plus grande échelle, d'une mobilisation analogue à celle que des personnes proches de Monsieur J.J. GAGNEPAIN, Directeur du Département SPI du CNRS, avaient personnellement appellée du sommet en décembre dernier pour défendre la situation de ce groupe de pression.

- Enfin , la perte de prestige évidente du monde scientifique par la prolifération des "affaires" impliquant à des degrés divers sa hiérarchie: avec 190 publications environ, je me vois refuser la promotion au grade de DR1; quel était le curriculum qui a permis à Monsieur Jacques CROZEMARIE de devenir Ingénieur de Recherche Hors Classe? Et l'échec, la faillite du système, dans plusieurs grands programmes scientifiques et technologiques au cours des deux dernières décennies, avec des répercussions industrielles importantes (LOCSTAR, ACRI...).

A la demande de la Direction Générale du CNRS, j'ai changé des phrases jugées litigieuses de ma page web. Mais une telle impasse m'apparaît désolante. Il me semble que c'est surtout à ce genre de situations que l'on doit juger du fonctionnement réel des institutions, de leur capacité de rectification et d'autocritique, de défendre vraiement l'intèrêt public. A ce jour, je dois, malheureusement, constater que le processus involutif des hiérarchies et administrations du monde scientifique se poursuit inexorablement, sans céder d'un pouce, indépendamment des personnes, des politiques apparentes, des groupes au pouvoir, des déclarations adressées au public. Aucune alternative n'est proposée à cette involution suicidaire.

Je vous prie de recevoir l'expression de ma haute considération.

Michel DEZA

En annexe: Lettre de la Direction Générale du CNRS du 25 mars 1999


CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Paris, le 25 Mars 1999
Le Directeur General

M. Michel DEZA
Directeur de recherche
Laboratoire d'informatique de l'Ecole normale superieure - LIENS
45, rue d'Ulm 75230 PARIS CEDEX 5

s/couvert de M. Jacques STERN

Monsieur le Directeur de recherche,

Mon attention a ete defavorablement attiree par l'existence et surtout le contenu de votre site WEB, cree au sein de celui du Departement de Mathematiques et d'Informatique (DMI) de l'Ecole Normale Superieure "http://www.dmi.ens.fr/users/deza" ( ou "http://www.dmi.ens.fr/~deza" ) qui aurait du rester a objet strictement professionnel et scientifique.

Tel n'est pas le cas. Le sommaire d'accueil de votre site propose une rubrique intitulee "Harcelement professionnel: halte a la delinquance administrative!" ( manif.html ), ainsi qu'une autre "Rejoignez le reseau! ( reseau.html ). Sur le premier intitule, on decouvre immediatement que les "deliquants administratifs" ne sont autres que les dirigeantes du CNRS, auxquels vous proposez d'appliquer la methode de la ""dissidence sovietique", puisqu'ils sont "laches, ignorant de la legislation du pays et se trahissant entre eux" comme la "nomenklature sovietique". Il est inutile de citer davantage: la tonalite du discours ensuite est a peu pres toujours la meme. On peut seulement ajouter que vous attaquez egalement le ministre charge de la recherche et que vous citez nommement, ou de facon facilement identifiable, un certain nombre de fonctionnaires du CNRS.

Par ailleurs, vous utilisez aussi le systeme informatique de l'ENS pour adresser par E-mail des messages du meme type que ceux que l'on trouve sur votre site WEB jusqu'a plus de trois milles destinataires, ce qui a occasionne plusieurs plaintes exterieures qui m'ont ete transmises.

Je vous rappelle que les moyens mis a votre disposition dans le cadre professionnel ne doivent pas etre utilises a d'autres fins.

Ce principe simple et evident avait ete, a toutes fins utiles, inscrit dans les recommendations du comite de coordination des serveurs WEB du CNRS accessible sur le site de l'Etablissement, je cite : "3 - Ne mettre sur le serveur que des informations qui valorisent l'image du laboratoire. Les informations doivent etre opportunes, claires, attrayantes, et mises a jour autant que de besoin. Le serveur ne doit pas etre librement utilise par le personnel pour y satisfaire ses hobbies propres ou pour y introduire des donnes qui n'ont strictement rien a voir avec l'activite de l'unite".

Vous pourrez egalement lire sur le meme sujet la Charte Informatique qui vient d'etre approuvee par le Directeur General du CNRS et que je joins en annexe pour information. La Charte rappelle aussi ce principe d'une bonne utilisation : " L'utilisateur doit faire usage des services Internet dans le cadre exclusif de ses activites professionnelles et dans le respect de principes generaux et des regles propres aux divers sites qui les proposent ainsi que dans le respect de la legislation en viqueur. En particulier : ... il n'emettra pas d'opinions personnelles etrangeres a son activite professionnelle susceptibles de porter prejudice au CNRS".

En consequence, vous voudrez bien mettre bon ordre a cette situation.

Enfin, je vous mets enfin en garde contre tout projet de transfert de vos pages WEB sur un site prive. En effet si le grief d'utilisation detournee des moyens de l'administration ne serait plus alors encouru, il n'en resterait pas moins que la diffusion sur Internet, c'est-a-dire de la facon universelle, de diatribes contre la Direction de votre Administration constituerait pour un fonctionnaire de votre rang, un grave manquement a son devoir de reserve.

Catherine BRECHIGNAC

P.J. : charte informatique


SUIT LA LETTRE DE MICHEL DEZA AUX PARLEMENTAIRES (AVRIL 1998)
Michel DEZA 12 avril 1998
17 passage de l'Industrie, 75010 PARIS; Téléphone et Fax: 0147703673
Mathématicien, Directeur de Recherche au CNRS (LIENS, Ecole Normale Supérieure)

à Madame (Monsieur)...
Député (Sénateur)

Les vrais problèmes de fond derrière l' "affaire DEZA" ou la nécessité d'une commission d'enquête parlementaire sur la recherche.

Pour manifester ma disconformité envers une mutation d'office, revêtant manifestement le caractère d'une sanction et dont le but était de m'expulser de l'Ecole Normale Supérieure (ENS, où je suis affecté) pour des raisons que l'administration avoue être étrangères à ma valeur professionnelle, j'ai été contraint de faire une grève de la faim pendant seize jours.

1. Pourquoi une grève de la faim dans un établissement scientifique?

Théoriquement, les chercheurs scientifiques jouissent de droits reconnus par un statut de fonctionnaires. Les administrations de la recherche se présentent devant l'opinion publique comme des entités progressistes, d'idées avancées et ouvertes au dialogue. Mais la réalité est toute autre: c'est seulement après une longue grève de la faim de ma part, et à cause de l'émoi que cette action a produit à l'extérieur des institutions scientifiques comme parmi mes collègues, que l'administration (CNRS et ENS) a accepté l'ouverture d'un dialogue. Le CNRS venait d'être condamné par les Tribunaux administratifs pour des abus de pouvoir dont j'avais été victime, mais ces condamnations avaient eu pour effet d'accroître l'agressivité de l'administration à mon égard (mobilisant sa "Direction des Ressources Humaines"). Le simple fait d'avoir exercé le droit d'accès à la justice, reconnu à tous les citoyens par la Constitution Française et les Déclarations Européennes sur les Droits de l'Homme, avait conduit les responsables du CNRS et de l'ENS à me cataloguer, et me traiter, comme un élément antisocial.

2. Bref historique (je tiens un dossier plus complet à votre disposition)

J'ai été recruté par le CNRS en 1973 et nommé Maître de Recherche (actuel Directeur de Recherche de 2me classe) en 1979. En juillet 1992, j'ai été affecté au LIENS (laboratoire d'Informatique de l'Ecole Normale Supérieure). Au début de la même année, de retour d'une mission de deux ans au Japon, je m'étais heurté à une situation anormale: a) ma dotation financière avait été supprimée, me privant ainsi des moyens nécessaires à l'exercice de mes fonctions; b) ma carrière était bloquée, à l'accès au grade de Directeur de Recherche de 1re classe, pour des raisons qui me sont apparues arbitraires. Des recours gracieux de ma part n'ayant pas obtenu satisfaction, j'ai finalement décidé de saisir la juridiction administrative. Par des jugements des 29 avril et 4 novembre 1997, la Cour Administrative d'Appel (qui constate l'existence d'une "discrimination illégale") et le Tribunal Administratif de Paris ont estimé mes recours fondés et condamné le CNRS. Cependant, à cause de mon action contentieuse, la Direction du Département des Sciences pour l'Ingénieur du CNRS (lettre de Monsieur J.J. GAGNEPAIN) a fait annuler début 1993 tous mes programmes d'échanges internationaux au motif que "le CNRS est maintenant en procès avec ce chercheur". Cette voie de fait m'a porté un tort professionnel très grave. Les deux jugements précités sont intervenus très tardivement, alors que j'avais dû faire face à cinq ans de pressions et de mise sur la touche, pendant lesquels l'administration avait pu impunément durcir de plus en plus sa position. Même après ces jugements, la hiérarchie du CNRS et de l'ENS au plus haut niveau a poursuivi sa politique de représailles contre mes recours, aboutissant notamment à ma mutation d'office.

Mise en cause par mes recours, la hiérarchie a chargé l'administration de rechercher tout prétexte permettant de me sanctionner. Des dossiers disproportionnés ont été échauffaudés. Lors d'une mission que je devais effectuer en Allemagne au moment de la grève des personnels SNCF de l'automne 1995, j'ai dû changer mon billet de train par un billet d'avion, avec un surcoût de 1500 F pour lequel le Bureau des Missions m'a donné son accord. Vu l'urgence de la situation, le Bureau m'a conseillé de signer cette dépense de mon propre nom (ce qui était dans mes attributions, vu ma condition de responsable d'équipe et le montant des frais). Cette signature, qui dans des conditions normales aurait été une affaire de routine, a été exploitée pour tenter de m'imputer une faute professionnelle et engager une campagne de dénigrement personnel qui a abouti à ma mutation d'office sous couvert d'un prétendu "intérêt de la recherche" en décembre 1997. La procédure a été entachée de nombreuses irrégularités, jusqu'à la déformation de l'avis de l'instance d'évaluation scientifique. Je tiens à votre disposition la correspondance administrative échangée entre les différentes autorités et qui témoigne de leur volonté d'exercer des représailles à mon égard. Suite à ma grève de la faim, et aux réactions qu'elle a suscitées, Mme. le Directeur Général du CNRS a retiré ma mutation d'office et désigné des médiateurs. Mais le directeur du LIENS refuse d'exercer ses fonctions tant que j'y serai présent et, avec le soutien du Directeur de l'ENS, s'apprête à m'exclure du laboratoire dans le cadre de la contractualisation prévue pour l'année en cours. La hiérarchie scientifique exige d'avoir gain de cause à tout prix et refuse d'accepter le moindre tort.

3. Conclusion: nécessité d'une commission d'enquête parlementaire

Nous sommes confrontés à un problème de fond au sein des institutions scientifiques, les litiges entre la hiérarchie et les agents étant devenus nombreux au cours de la dernière décennie. Ces litiges n'impliquent pas des personnels en perte de vitesse sur le plan professionnel: ils touchent en général des chercheurs et techniciens dont le caractère est jugé trop indépendant et qui, pour cette raison et souvent parce que leur activité de recherche concurrence avec succès celle des protégés de la hiérarchie, subissent des mises à l'écart plus ou moins violentes (jusqu'à la destruction physique de laboratoires, e.g. le cas de Mme. et M. PARVEZ à Orsay). La mainmise sur les acquis professionnels de l'intéressé fait souvent partie des mobiles de l'abus de pouvoir. Tout se passe comme si le système n'était plus en mesure d'exploiter de façon positive l'énergie de ses effectifs humains, à cause d'une hiérarchie devenue toute-puissante et inamovible (il y a vingt ans, le retour à la base après quelques années était la règle, mais les actuels "directeurs" et "coordinateurs" restent à vie dans ces fonctions et forment un milieu à part). Cette hiérarchie, porteuse d'intérêts étroits étrangers à celui de la recherche, marginalise les initiatives créatrices et réprime l'indépendance de la pensée. Sciences et Avenir évoquait récemment (mars 1998) la nécessité de faire partie de "clubs" pour obtenir des financements: il convient de préciser que la soumission au système est également exigée (e.g. mon exclusion de toute collaboration internationale pour avoir saisi la juridiction administrative sur un problème sans rapport avec ces collaborations). Dans un contexte verrouillé, où la politique est coupée de la base et où très peu de voix osent s'exprimer avec franchise (y compris au sein des instances dites "paritaires"), des litiges dont le règlement aurait dû être aisé et dont l'existence même appelle des questions, deviennent des conflits aigus qui perdurent, s'aggravent au fil des années et poussent leurs victimes à des actions extrêmes comme seul moyen de se faire entendre.

Des cris d'alarme surgissent au sein même des institutions. Le rapport Ethique et institutions scientifiques du Comité d'Ethique du CNRS (juillet 1997 , accessible sur Internet à l'adresse www.cnrs.fr/ethique/ethsc.pdf) constate des dérives inquiétantes. Sans doute, ce rapport émanant de la hiérarchie elle-même et dont la teneur ne peut que refléter des compromis, ne va pas jusqu'au bout de la pensée qui l'a inspiré. Mais il nous en dit suffisamment pour que de nombreuses questions puissent légitimement être posées. Les pratiques d'influence, les chasses gardées, l'opacité dans les prises de décisions, la répression contre ceux qui signalent les dysfonctionnements... y sont dénoncées. L'un des auteurs du rapport plaide explicitement, dans le Journal du CNRS de mars 1998, pour la "formula américaine de protection des whistleblowers, les lanceurs d'alerte" alors que, quelques lignes plus haut, le même Journal du CNRS signale (p. 14) à propos du "scandale de l'ARC" que "pendant longtemps, ceux qui ont tenté de le dénoncer ont été pourchassés". On ne peut que s'émouvoir de ces constats et déclarations, auquels s'ajoute le "cas VIDELIER" (mise au placard d'un chercheur ayant dénoncé le négationnisme) et qui témoignent d'une déroute institutionnelle devant une situation devenue de plus en plus grave à cause de la passivité des pouvoirs publics.

Les réformes de la recherche scientifique et de l'Université ont été, depuis longtemps, systématiquement confiées à la hiérarchie scientifique elle-même: cette formule très contestable porte la responsabilité de l'impasse actuelle. Echappant à tout contrôle extérieur, la hiérarchie a servi ses propres intérêts et accru successivement ses pouvoirs et privilèges. Elle a développé une administration et une machinerie relationnelle pléthoriques, tout en étouffant la voix des chercheurs actifs qui pouvaient très difficilement arriver jusqu'aux médias et instances politiques de décision. Contre les dissidents, elle brandit la menace de bannissement de la "communauté scientifique". En occultant de graves dysfonctionnements, la hiérarchie scientifique a su persuader le monde politique d'un prétendu "bon fonctionement général" de la recherche et faire traduire une "nécessité de laisser travailler les scientifiques" par une "carte blanche" donnée aux dirigeants. Dans les rapports, les "problèmes de la recherche" sont réduits à des questions budgétaires et d'organigramme, l'indépendance des chercheurs étant assimilée de façon démagogique à ce qui de fait s'y oppose, à savoir le renforcement des pouvoirs et "autonomie" des directeurs de laboratoire. Cette involution, soutenue par des fonctionnaires ministériels tout aussi inamovibles, a provoqué après deux décennies une crise générale du système qui menace à présent l'économie du pays et qui me semble exiger la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire afin de faire le point, de façon indépendante et devant toute la Nation, sur l'ensemble des problèmes des établissements à vocation scientifique.

Je vous prie de recevoir l'expression de ma haute considération.

Michel DEZA


(FIN DES ANNEXES ET DE MA NOTE)