INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FRANCE

Michel Broué, Professeur UFR de Mathématiques, Université Paris 7 Denis-Diderot
Institut de Mathématiques de Jussieu, UMR 7586 du CNRS

Objet: Mission de médiation dans "l'affaire Michel DEZA"

Madame Catherine Bréchignac Directrice générale du CNRS

Paris, le 26 avril 1998

Madame la Directrice générale et chère collègue,

J'aurais souhaité, à la veille de mon départ pour plusieurs semaines aux États-Unis, être en mesure de vous faire des propositions complètes en vue de régler la situation de Michel Deza. Ce n'est malheureusement pas le cas, mais je vais néanmoins essayer de dégager quelques grandes lignes selon lesquelles orienter une possible solution.

Les termes de la présente lettre sont approuvés par Gilles Kahn.

1. Le premier point litigieux est celui de la promotion DR1 de Michel Deza. Rappelons en quelques mots l'histoire.

En 1991, Michel Deza est SDI et en mission au Japon. La commission compétente du Comité national le propose à la promotion DR1. Comme on le lui conseille, Deza demande alors son rattachement à un laboratoire pour son retour en France, en l'occurrence le LIENS. Claude Puech, directeur du LIENS et mon adjoint à la direction du DMI, ne s'oppose pas à ce rattachement, mais hésite et insiste sur le fait que la promotion de Deza comme DR1 simplifierait les choses. Cependant, la promotion est finalement refusée. D'après Deza, cette décision lui aurait été communiquée au téléphone par M. Gagnepain, lequel aurait argué, pour justifier le refus,... du fait que Deza n'était pas rattaché à un laboratoire. Quelques semaines après le refus de promotion, Deza est affecté au LIENS.

Depuis, Michel Deza n'a jamais été promu.

J'ai demandé des rapports scientifiques sur Deza à un grand nombre de spécialistes internationaux de son domaine, travaillant dans des pays variés (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Inde, Japon), et vous en trouverez copies ci-jointes. Ils sont unanimes et parfaitement convaincants tant du point de vue de la qualité scientifique que de l'activité de formation et de prise de responsabilités, Michel Deza a très largement les qualifications pour être DR1.

Je pense que la promotion rapide de Michel Deza comme DR1 devrait être le premier point de toute proposition de solution.

2. Le deuxième problème est que, à tort ou à raison, mais sans aucun doute sincèrement, Michel Deza se sent maltraité, mal-aimé, et surtout non respecté par les institutions dont il dépend, à savoir le CNRS et l'ENS.

En préalable à toute solution, il faudrait essayer de rétablir un début de confiance. Je vois trois décisions possibles allant dans ce sens.

a. Michel Deza sollicite une délégation de plusieurs années au Japon. Je pense qu'il serait sage et bienvenu de la part du CNRS de la lui accorder. En outre, un éloignement des protagonistes ne peut que contribuer à une dédramatisation bien nécessaire.

b. Depuis plusieurs années, Deza sollicite en vain du DMI de pouvoir utiliser l'un des mois d'invités pour y accueillir un chercheur étranger travaillant dans son domaine. Je pense qu'il serait de bonne politique que l'ENS le lui accorde cette année, sans préjuger de l'affectation future de Deza.

c. Deza sollicite aussi l'achat par le DMI, et pour son usage, d'un ordinateur portable, arguant du fait qu'il travaille beaucoup chez lui et se déplace beaucoup à l'étranger. Bien que ce ne soit pas dans les habitudes du DMI, je pense qu'il serait sage et bienvenu que le DMI (ou l'ENS) déroge à ses habitudes et accepte d'acheter cet appareil - ce qui n'aurait rien de choquant : les arguments de Deza sont recevables, la machine ne coûte pas cher, et Deza a fort peu grevé le budget de l'ENS depuis 1992. On peut espérer que ces quelques mesures simples contribueraient à détendre l'atmosphère et à centrer la discussion sur les enjeux véritables.

3. Reste la question, de loin la plus difficile, de l'affectation de Deza. Le fond du problème est triple :

Deza fait partie de cette catégorie de chercheurs qui n'auraient pas dus être intégrés "de force" dans un laboratoire. Il se portait fort bien en chercheur individuel, accomplissait ainsi un travail scientifique, tout à fait respectable, et il eût fallu laisser les choses en l'état.

Si Deza doit absolument être rattaché à un laboratoire, ce devrait être à un laboratoire de Mathématiques. Il ne fait aucun doute qu'il doit être considéré comme un mathématicien et non pas comme un informaticien.

Au travers d'épisodes divers, il s'est créé entre les dirigeants du DMI et de l'ENS, d'un côté, et Michel Deza, de l'autre, un ensemble de rapports fondés sur la méfiance la plus extrême. En l'état actuel de ces rapports, Michel Deza ne peut admettre que les propositions de changement d'affectation le concernant soient autre chose qu'une manoeuvre visant à l'éliminer.

Je doute que Michel Deza accepte une affectation autre que dans l'un des laboratoires qui constituent actuellement le DMI, et il est impossible de maintenir son affectation au LIENS, refusée unanimement par l'ensemble des cadres A de ce laboratoire : le développement de l'informatique à l'ENS serait mis en péril de manière durable.

Une affectation au département de Physique m'apparait artificielle et serait certainement rejetée par Deza.

Il me semble donc que la solution la plus économique et la plus simple consisterait à proposer à l'ensemble des parties en cause le "paquet d'accords" suivant, à prendre comme un tout insécable :

(1) Michel Deza est promu DR1 et est envoyé en délégation au Japon pour trois ans.

(2) Il est affecté dès la rentrée universitaire prochaine à l'ENS, où il est traité autant que possible comme un "chercheur individuel": tout en continuant à profiter, lors de ses séjours en France, de l'équipement et du fonctionnement du LMENS (bureau, courrier, photocopies), il gère (pour missions et petit matériel) son propre budget directement auprès de l'administration déléguée. Il remet néanmoins son rapport d'activité scientifique par l'intermédiaire du directeur du LMENS.

Le directeur de l'ENS est, en gros, d'accord avec ces propositions.

Il apparaît cependant que le point (2) de cette proposition peut poser problème à la direction du LMENS, qui ne souhaite pas avoir à gérer, fût-ce dans trois ans, les conséquences d'une situation dont elle ne s'estime pas responsable. On pourrait imaginer de formaliser de manière aussi explicite que possible les droits et devoirs respectifs des parties concernées (Deza, l'ENS, le LMENS et le futur département de mathématiques).

Michel Deza est actuellement en mission en Allemagne et nous ne l'avons pas rencontré depuis son départ. Je pense qu'il devrait accepter ces propositions, qui représentent certes un compromis non négligeable pour lui, mais qui devraient lui permettre, dans l'honneur et dans d'excellentes conditions, de se consacrer à nouveau et à plein temps à son travail de chercheur, dans la paix retrouvée.

Je vous prie de croire, Madame la Directrice générale et chère collègue, à l'expression de mes sentiments dévoués.

Michel Broué.

Cc :
Arnaud Beauville, Directeur du DMI,
Pierre-Louis Curien, Directeur du Département Mathématiques-Informatique au MENESRT,
Michel Deza,
Étienne Guyon, Directeur de l'ENS.